SIX IDEES RECUES SUR LE BIO
On le sent bien, le bio a le vent en poupe. Nous sommes 84 % en
France à souhaiter son développement. Mais nous ne sommes encore que 25
% à en acheter (Source : AgenceBio). Alors quels sont les obstacles qui
nous retiennent ?
Nous avons recensé six idées reçues sur le bio et
demandé ce qu'il en pensait à Philippe Desbrosses, agriculteur, Docteur
en sciences de l'environnement, Expert consultant auprès de l'Union
Européenne et Chargé de mission auprès du Ministère de l'agriculture.
Idée reçue n°1 : "Le bio ce n'est pas vraiment du bio."
-
Chez beaucoup de consommateurs, un doute subsiste : un agriculteur ne
peut pas cultiver totalement bio parce que les voisins polluent…
Philippe Desbrosses : Toutes
les enquêtes récentes de la Répression des fraudes, de 60 millions de
consommateurs ou de Que Choisir concluent qu'on ne trouve pas de
résidus de pesticides dans les produits bio, à l’exception de traces
non significatives sur 4% des échantillons. J'en suis moi-même surpris
compte tenu du fait qu'on n'est pas dans une bulle et qu'on est obligé
de recevoir la pollution des autres. Mais le niveau de traitement sur
les cultures conventionnelles est tel qu'on voit bien la différence
entre ceux qui traitent et ceux qui ne traitent pas.
-
Certains disent qu'il y a beaucoup de fraudes sur les produits bio. À
l'arrivée on n'est pas sûr que les produits bio soient vraiment bio…
PhD : La
fraude au niveau des producteurs est impossible parce que l'agriculture
biologique a un système de contrôle extrêmement rigoureux. C'est du
reste la seule agriculture à être contrôlée. L'agriculture raisonnée
est très loin du compte, d’ailleurs elle est en train de disparaître
tout doucement. Il y a au maximum quelques centaines d'agriculteurs en
France qui s'en réclament alors qu'il y en a 12 000 en agriculture
biologique, qui sont contrôlés chaque année.
Et puis vous savez, les agriculteurs qui s'engagent dans la voie du bio ne le font pas pour faire fortune. C'est un engagement citoyen pour le respect de la planète et pour leurs enfants ou leurs petits-enfants.
- Et les fraudes sur les produits importés ?
PhD : Il
y a eu quelques cas, il y a une dizaine d'années, mais les fraudeurs
ont été pris et les condamnations ont été très sévères. Plus personne
ne s'amuse à ce jeu-là maintenant.
Idée reçue n°2 : "Le bio c'est moins bon et c'est pas sain"
-
Des adversaires du bio considèrent qu'en agriculture biologique on ne
peut pas lutter contre les maladies des plantes, les produits sont donc
moins sains.
PhD : Ce qui fait la
qualité des plantes cultivées en bio c'est qu'elles se défendent
elle-même. Le principe, c'est de donner aux plantes toutes les
conditions d'un développement harmonieux pour qu'elles n'aient pas
besoin d'être traitées. Pour qu'une plante soit en bonne santé, est-ce
qu'on doit bien la nourrir ou est-ce qu'on doit bien la traiter ? Dans
le premier cas, en bio, on privilégie les moyens naturels,
l'anticipation des maladies, la rotation de cultures, ce qui correspond
à une bonne agronomie. Dans le deuxième cas, en agriculture intensive,
on fait du traitement préventif, au moindre signe, on déclenche la
guerre des pesticides. On modifie alors le métabolisme des plantes, on
favorise la prolifération d'insectes secondaires qui deviennent
extrêmement virulents et qui font autant de dégâts que l'insecte qu'on
a voulu combattre.
- Il y a beaucoup d'insectes résistants aux pesticides ?
PhD : Une
étude américaine montre qu'il y avait 7 insectes résistants aux
pesticides en 1930, 25 dans les années 40, 200 dans les années 50, et
on en a 900 aujourd'hui… La nature reprend toujours le dessus. Le
parasitisme a un rôle, il est là pour éliminer les plantes malades.
En
fait les pesticides provoquent des proliférations d'insectes. Quand on
traite les araignées rouges, cela crée une virulence plus grande chez
les araignées et un cycle de ponte supplémentaire, donc une génération
supplémentaire.
- On obtient en fait le contraire de l'effet recherché ?
PhD : Exactement.
Des publications scientifiques, notamment celle de Dufresnoy dans les
années 30, démontrent que quand on met des pesticides on inhibe la
production de cytoplasme dans la cellule et on provoque un déséquilibre
des protides au bénéfice des glucides. On a un stockage de sucres qui
fait que la plante devient la proie du parasitisme, parce que la
relation entre la plante et le parasite est d'ordre nutritionnel.
Des
études de l'INRA de Bordeaux (Francis Chaboussou), montrent que le jour
où on met un pesticide dans un champ, c'est fini, c'est comme la
drogue, on ne peut plus s'en passer. On crée désordre sur désordre qui
obligent à une course infernale, il faut utiliser des pesticides
toujours plus puissant pour juguler des maladies qui sont devenues
permanentes dans le champ.
- Ces
mêmes adversaires du bio disent que, du fait du transport et du mode de
conservation, la qualité microbienne des produits bio est moins bonne.
PhD : Les
produits bio sont soumis à la même réglementation que les produits
conventionnels. Avec en plus la contrainte de ne pas utiliser de
produits dangereux. Un bruit a couru sur le fait que le bio qui
n'utilise pas de fongicides serait susceptibles de développer des
mycotoxines, une sorte de champignon toxique. Aucune preuve n'a été
avancée. En revanche, lors d'une réunion de la FAO en août 2000 à
Porto, les experts, se basant sur six ans d'études, ont même démontré
qu'il y avait moins de danger avec les mycotoxines en bio qu'en
conventionnel, parce qu'en bio, pour le lait par exemple, on n'utilise
pas de tourteaux stockés pour la nourriture des bêtes, on privilégie le
lien au sol et la nourriture à l’herbe.
- Un certain discours officiel prétend qu'il n'est pas prouvé qu'un produit bio soit meilleur pour la santé.
PhD : On
entend beaucoup en ce moment ce refrain : "c'est sûr, le bio est bon
pour l'environnement mais pas forcément meilleur pour la santé". Je
fais appel au bon sens. Comment expliquer que ça puisse être bon pour
la planète mais pas pour les gens qui vivent dessus ?
D'après un
film qui vient sortir qui s'appelle "Nos enfants nous accuserons", on
saurait maintenant que des maladies comme celle de Parkinson relèvent à
70 % de l'utilisation de pesticides.
Et si le bio n'était pas
meilleur pour la santé pourquoi le Premier Ministre aurait-il fait une
lettre de six pages pour exhorter les administrations à montrer
l’exemple et à introduire au moins 20% de produits bio dans la
restauration collective, notamment les cantines de nos enfants ?
- De nombreux consommateurs pensent que beaucoup de produits bio sont très mauvais, comme les vins par exemple.
PhD : Ça
a été vrai il y a trente ans ! Aujourd'hui tous les grands crus sont en
bio. Ils ne communiquent pas forcément dessus, mais regardez :
Montrachet-Pouligny, Romanée Conti, Petrus… Ils sont en bio, même en
biodynamie, et dans certains vignobles, ils ont réintroduit la traction
animale.
Idée reçue n°3 : "Le bio c'est mauvais pour l'environnement"
J'ai
entendu des viticulteurs prétendre qu'en agriculture biologique, on
utilise des produits comme le cuivre qui sont pires que les pesticides
pour l'environnement.
PhD : On en
utilise quatre fois moins que dans les vignes classiques ! Je ne nie
pas que le cuivre pose problème, mais on est loin du niveau de
pollution qu'il y a dans les vignobles en conventionnel, où l'on
utilise aussi le cuivre ainsi que, pour le remplacer, des produits de
synthèse qui sont très dangereux.
Pour lutter contre certaines
maladies comme le mildiou, les doses de cuivre recommandées par les
techniciens sont de l'ordre de 12 kg/ha, alors que les producteurs bio
s'en sortent avec 3 kg/ha…
Tout est une question de quantité. Le
cuivre est biodégradable, et dans certains cas peut remédier à des
carences en cuivre dans les sols. Or le cuivre est très important
notamment dans la synthèse de la vitamine C. C'est une question
d'équilibre général.
Idée reçue n°4 : "À quoi bon manger bio ?
Les "akoibonistes" disent : "de toute façon on vit plus vieux qu'avant et puis il y a tellement de pollution partout !"
PhD : Sur
quoi se base-t-on pour dire qu'on vit plus vieux qu'autrefois ? Sur des
générations qui sont nées au début du XXe siècle et qui ont connu
pendant toute la première partie de leur vie une autre hygiène
alimentaire. On va aborder maintenant la nouvelle génération nourrie au
MacDo et au Coca-cola, avec le stress urbain, on va voir ce qui va se
passer. D'ailleurs l'espérance de vie a déjà commencé à diminuer.
Et
ceux qui disent que la bio ça ne sert à rien, puisque de toutes façons
le monde entier est pollué, je les compare à de gens qui souhaiteraient
qu'on achève les blessés au bord des routes. Il est vrai que nous ne
sommes pas responsables de l'état de l'environnement que nous avons
mais au moins, essayons de l'améliorer.
Idée reçue n°5 : "Le bio c'est pour les bobos"
On le constate sur nos marchés, un produit bio, c'est plus cher qu'un
produit normal. Cela voudrait-il dire que les produits bio ne
concernent qu'une petite frange de consommateurs privilégiés ?
PhD : Le
bio progresse dans toutes les catégories sociales et dans toutes les
générations. C'est une question de prise de conscience. Il n'y a pas
une catégorie aisée qui consomme plus du bio, même si, je le reconnais,
c'est plus facile pour elle.
Et puis chaque consommateur en tant que
contribuable paie une part des subventions qui, au total en France,
représentent 12,5 milliards d'euros par an. Ces subventions vont en
masse à l'agriculture la plus polluante. Il n'y a pas de subvention par
exemple pour les fruits et légumes, qui ne représentent par voie de
conséquence que 2 % de la surface agricole. Résultat : 1500
semi-remorques traversent la frontière tous les jours à Perpignan pour
nous apporter du sud les fruits et légumes dont nous avons besoin en
Europe ; ce sont des produits qui contiennent 90 % d'eau et qu'on fait
venir de pays qui connaissent la sécheresse alors qu'on devrait
produire l'essentiel de nos besoins à proximité des grands bassins de
consommation.
Par ailleurs dans les produits conventionnels, il faut
prendre en compte un coût caché : les subventions, comme je viens de le
dire, mais aussi la dégradation des sols, la pollution des nappes
phréatiques… Il faudra payer un jour pour cela.
C'est très injuste
de dire que le bio coûte plus cher. Simplement avec le bio on paie le
vrai prix. En fait, il faut inverser notre raisonnement : l'agriculture
bio coûte beaucoup moins cher à la collectivité parce qu'elle
n'hypothèque pas l'avenir et ne vit pas de subventions.
Idée reçue n°6 : "Le bio ce n'est pas réaliste"
- On entend certains agriculteurs et certains économistes dire que
l'agriculture biologique n'est pas rentable, qu'il n'y a pas de modèle
économique. D'après eux, les agriculteurs bio seraient de doux rêveurs,
des babas cool, des idéologues.
PhD : Il
y a 286 études collectées par les universités américaines, indiennes et
anglaises, qui montrent que l'agriculture biologique est plus
productive et plus durable. Dans les pays où les conditions physiques
sont difficiles c'est l'agriculture biologique qui est en tête en terme
de rendement.
Une étude américaine publiée en 94 dans "American
Scientic" a montré qu'il faut 300 unités d'intrants (produits
nécessaires au fonctionnement de l'exploitation agricole : engrais,
amendements, pesticides, équipements, carburant, etc.) pour produire
100 unités de nourriture en agriculture conventionnelle, alors qu'il en
faut 5 seulement en agriculture biologique ! Il est donc beaucoup plus
cher de produire en conventionnel qu'en bio. Avec la crise financière
actuelle, ça va devenir très voyant, on ne va plus pouvoir tricher avec
les chiffres et "les coûts cachés".
Par ailleurs, en bio on ne
cherche pas un rendement maximum. On cherche un rendement optimum pour
qu'il soit durable. Si vous payez les derniers quintaux très chers, ça
sert à quoi de produire 100 quintaux ? C'est ridicule.
- Les mêmes disent que l'agriculture biologique ne permettrait pas de nourrir l'humanité.
PhD : 400
experts de la FAO, venus de 80 pays, réunis du 3 au 5 mai 2007 à Rome,
ont conclu que l'agriculture biologique, après trente ans
d'expérimentation sur l'ensemble des continents, avait fait la
démonstration qu'elle pouvait nourrir toute la population de la planète
aussi bien que l'agriculture conventionnelle sans les inconvénients de
celle-ci.
Notre agriculture est essentiellement pétrolière, quand on
voit le cours du pétrole, la dégradation des sols, l'état des nappes
phréatiques, la baisse des rendements, est-ce qu'on va pouvoir
continuer longtemps comme ça ? La famine c'est ce modèle-là qui la
prépare.
Le bio, qu'on l'appelle ainsi ou "agriculture naturelle' ou "à haute valeur environnementale", c'est plus qu'une méthode de production. Cela participe d'un nouvel art de vivre, une recherche des êtres humains vers la solidarité, le respect des générations futures, le respect de la terre. Quand Colbert faisait planter les chênes de la forêt de Tronçais pour qu'ils servent 150 ans plus tard à faire les mâts des navires, il n'était pas simplement dans l'amour du prochain mais aussi dans l'amour du lointain! Il s'agit-là de valeurs morales qui guident nos actions.
Propos recueillis par Félix Franck
Une interview de Philippe Desbrosses, agriculteur, Docteur en sciences de l'environnement, Expert consultant auprès de l'Union Européenne et Chargé de mission auprès du Ministère de l'agriculture pour approfondir ces questions : http://www.viesaineetzen.com/actu/six-idees-recues-bio.php